(article précédent : bordabord.org/news/un-canal-en-guerre-1-sur-4)
En août 1914 commence la Première Guerre Mondiale, et dès le début, c'est vers Lagarde qu'ont lieu les premiers combats : le 10 août, Lagarde est prise par les Français, puis reprise par les Allemands le 11. Le canal va souffrir, mais pensons surtout aux habitants et aux soldats : bataille de Lorraine, du Grand Couronné, de la Trouée de Charmes...
On trouve assez facilement des cartes postales montrant les dégâts de la Guerre, comme par exemple le pont de Lagarde :
le voici avant guerre :
J'exagère un peu... ce n'est pas le canal, c'est la Meurthe,
entre Varangéville et Laneuveville-devant-Nancy.
Mais c'est au pied du pont-canal de Saint-Phlin!
Et c'est le Quatrième Bataillon de Chasseurs, en casernement à St-Nicolas-de-Port en 1914,
qui combattra en Lorraine, dans les Flandres, à Verdun, au Chemin des Dames...
Autre usage : le transport, bien sûr! Mais ça, ça a commencé depuis bien avant la Guerre, comme on le voit sur le canal de l'Est, à Commercy, avant 1903 :
Pendant la Guerre, à Lagarde et à Xures, on peut voir ces barques de l'armée allemande, chargées de rails qui permettront sûrement de construire un chemin de fer à voie étroite pour alimenter le front :
ici, la n°321 à Maixe, bief 20 du versant Meurthe
du canal de la Marne au Rhin
là, carrière de la Chicotte à Hautmougey
D'accord, c'est le canal de l'Est branche Sud, mais la péniche porte un numéro, le 23, et la carte-photo a voyagé en 1916,
donc c'est certainement un bateau de l'armée! On peut lire sur une plaque, à gauche du numéro, le nom (civil?) du bateau : MASSENA
.
bateau en fer, numéroté 14, à Void (Marne au Rhin)
Le bateau est vidé (chargé?) à la brouette.
Les militaires portent, au moins pour celui qui est debout devant le bateau et celui qui est assis devant les pêcheurs,
un brassard orné d'une croix rouge (infirmier?) ; le pêcheur assis semble avoir un bandage autour du crâne, celui qui est debout derrière a le bras gauche en écharpe (blessés?).
Un trésor, cette carte...
Sur une carte postale de Varangéville, on peut aussi voir un bateau à vapeur :
Donc, si j'ai bien compris, voici une partie de la situation en 1914 : le ravitaillement, préparé à l'arrière (Varangéville), est amené à proximité du front par le bateau à vapeur (VILLE DE BAR-LE-DUC) ; on peut penser qu'au retour, il embarque des blessés pour les ramener à l'arrière, et éventuellement, un autre bateau les récupère ensuite pour les emmener dans dans des lieux un peu plus tranquilles (Nancy?). Je me permet d'avancer que le VILLE DE BAR-LE-DUC transporte des blessés, car on peut voir une croix rouge à l'avant.
J'ouvre une petite parenthèse, car si je ne case pas la carte postale qui va suivre maintenant, je ne sais pas où je la mettrai : il y a eu d'autres bateaux similaires au VILLE DE BAR-LE-DUC ; on peut voir ci-dessous le VILLE DE SAINT-QUENTIN à... Saint-Quentin (Quel manque d'originalité! ou bien : quelle coïncidence!), avant 1910 :
J'arrête là la parenthèse, mais j'aurai plaisir de lire en commentaire plus d'infos sur les VILLE DE ou sur les Messageries Fluviales de France.
Revenons-en à la Guerre. En 1914, la ville de Saint-Mihiel est prise par les Allemands (ça durera 4 ans) : ils n'iront pas plus loin, le fort de Troyon leur coupant la route de Verdun. La navigation sur la Meuse se trouve ainsi coupée du réseau navigable par le saillant de Saint-Mihiel, et les remorqueurs qui tiraient les péniches sur la rivière (en fait, le canal de l'Est branche Nord) étaient immobilisés à Verdun. Sur ces 17 remorqueurs (belges?), 12 furent démontés dès février 1915, et finalement les 17 ont été démontés, transportés par parties sur différents chantiers français et remontés. Ils furent remis en service au compte de l'Office National de la Navigation,et, en 1919, étaient exploités sur la Seine, la Marne et la Meuse (source : "Compte-rendu des opérations menées par l'ONN pendant l'année 1919").
La période de la Guerre peut aussi être l'occasion d'innovations dans le but d'améliorer la navigation : en effet, c'est le 11 juin 1916 qu'a été mis en service le halage funiculaire de Foug :
quatre bateaux métalliques éventrés
à Berry-au-Bac, le chemin des Dames,
c'est ici que les premiers chars d'assaut furent utilisés
Si je vous dit ça, c'est parce qu'on y reviendra, aux chars...
encore Berry-au-Bac, péniche LEO en bois
La Bassée, péniches en bois détruites.
Dans l'Aisne, canal de Saint-Quentin :
à gauche, péniches près de Tergnier ; à droite, écluses de Lesdins en 1917.
Canal du Nord : un canal en construction, déjà détruit!
(Science & Industrie - hors série Les voies navigables françaises - 1934)
Le réseau du Nord et du Pas-de-Calais est particulièrement touché : au 11 novembre 1918, on compte près de 400km de voies navigables complètement inutilisables, 74 écluses démolies, 375 ponts ruinés et plus de 200 ouvrages divers entièrement démolis ou gravement endommagés.
Sur la Meuse, dans les Ardennes et la Meuse, la presque totalité des ponts est rompue, plusieurs maisons éclusières ou magasins sont détruits, des portes d'écluses sont détruites à l'explosif ou inutilisables, l'écluse de Samogneux est détruite et celle de Roméry est remblayée! Des digues sont rompues en plusieurs points...
Mais la ligne de navigation qui a le plus souffert est sans doute le canal des Ardennes et le canal latéral à l'Aisne :
Un bief et une écluse du canal de l'Aisne à la Marne en 1918.
(Science & Industrie - hors série Les voies navigables françaises - 1934)
écluses du canal latéral à l'Oise,
à Pont-l'Evêque, en reconstruction
Reconstruction de l'écluse de Trieste sur le canal de Roubaix - Avancement au 18 février 1919.
(Science & Industrie - hors série Les voies navigables françaises - 1934)
Des bateaux aussi, il faut en reconstruire... Et c'est là qu'apparaissent les fameux Gros Numéros! Mais je ne vais pas rentrer dans les détails ici, d'autres l'ont fait, par exemple : bordabord.org/news/ro-gi-un-gros-numero.
Conséquence de la fin des hostilités : l'armée se retrouve avec une quantité de matériel sans usage... Des chars, par exemple! Et certains ont alors l'idée d'utiliser ces engins pour la traction des bateaux, sur le canal latéral à la Marne vers Epernay, entre autres. Il a quand même fallut enlever les tourelles et les blindages pour les alléger un peu...
traction des péniches par tanks pour remplacer le halage par chevaux
(La Nature n°2350 du 25 janvier 1919)
Les deux décennies (ou presque) qui séparent les deux conflits mondiaux verront de nombreuse améliorations apportées aux voies navigables, que ce soit au niveau des infrastructures ou de l'exploitation, comme le développement de la traction électrique sur berges (mais ça, vous le savez déjà si vous avez consulté le site référencé ci-dessous).
Voilà ce que dit le numéro spécial sur les voies navigables françaises de la revue "Science et Industrie", en 1934, sur la reconstitution et l'amélioration du canal de la Marne au Rhin après les destructions de la guerre 1914-1918 :
"Une grande partie du canal de la Marne au Rhin et de ses voies annexes s'est trouvée, pendant toute la durée de la guerre, en plein champ de bataille. Sur la Moselle canalisée, Pont-à-Mousson est restée en première ligne de 1914 à 1918, et, sur le canal de la Marne au Rhin, toute la section de Nancy-Dombasle-Xures et au-delà était constamment sous le feu ennemi : les communiqués ont parlé bien souvent de l'étang de Parroy.
Toutes les voies navigables avaient donc subi dans ces régions des destructions importantes, sans qu'il y ait eu toutefois destruction systématique ni ruine complète des ouvrages d'art principaux. Aussi, les travaux de reconstitution ont-ils pu être menés très rapidement en 1918-1919, et, dès 1920, on pouvait considérer que la navigation normale était rétablie sur le canal de la Marne au Rhin tout entier et ses annexes. Mais des désorganisations profondes, quoique peu visibles, subsistaient encore, dont le danger ne s'est manifesté souvent que beaucoup plus tard : c'est ainsi qu'en juillet 1932 une rupture de digue dans la région de Parroy a permis de se rendre compte qu'il existait encore dans les digues de plusieurs biefs d'anciens abris de guerre, dont l'effondrement progressif au bout de longues années causait un danger d'autant plus grave pour la tenue des biefs qu'il était à peu près impossible à déceler en temps utile.
Des consolidations importantes, consistant essentiellement dans le battage d'écrans en palplanches métalliques d'une grande longueur, ont donc été entreprises récemment et se poursuivent actuellement."
Le texte se poursuit sur la reprise vigoureuse du trafic à partir de 1920 et sur les travaux conduits pour y faire face : doublement des écluses de Nancy à Dombasle, construction des ports de Dombasle et Varangéville, renforcement de l'alimentation en eau, etc...
De périodes de trafic vigoureux en grandes grèves de la batellerie, nous voila bientôt à l'aube d'un nouveau conflit...
(la suite : http://bab.viabloga.com/news/un-canal-en-guerre-3-sur-4)
C'est un vrai travail d'historien que tu nous fais là, Guillaume ...... chapeau!
C'est précis, détaillé, remarquablement illustré et avec des liens intéressants ...... Que demander de plus?
Jean Louis