L'Est et le Nord de la France, régions parmi les plus riches de France en infrastructures fluviales, ont été durement touchées par les deux guerres mondiales du vingtième siècle.
Si l'on retrouve aujourd'hui de nombreux documents concernant ces deux périodes, il reste toujours des éléments dans le réseau actuel qui découlent directement de la guerre de 1870 : exemple le plus concret, l'existence du canal de l'Est, qui, longeant la Meuse puis joignant la Moselle à la Saône, a permit de recréer l'axe Nord-Sud perdu avec l'annexion allemande de l'Alsace et de la Moselle, et par là du canal du Rhône au Rhin branche Nord et d'une partie de la branche Sud.
Autre équipement qui doit son existence à la défaite de 1871 : l'étang de Parroy (54). Souvenez-vous en, on en a parlé récemment (bordabord.org/news/chomage-2009-sur-le-cmr-etang-de-parroy). L'annexion d'une partie du canal de la Marne au Rhin (tout le versant Rhin, le bief de partage des Vosges ainsi qu'une partie du versant Meurthe) s'accompagne de la perte de contrôle de l'alimentation en eau du bief de partage (rigole de la Sarre à Hesse, étangs de Gondrexange, de Réchicourt...) et par là, du niveau d'eau de la frontière (Xures) à Nancy. Le traité de Francfort de mai 1871 prévoyait les volumes d'eau que l'Allemagne devait réserver à la France, mais ceux-ci n'étaient soit pas suffisant lors des étiages, soit pas respectés par les autorités allemandes ; pour assurer le mouillage dans les 14 biefs en amont de Nancy, il a été décidé de construire un réservoir à quelques kilomètres de la frontière, à Parroy.
"VERLANGERT 1885" et "VERLANGERT 1895", écluses 13 et 11 du versant Meurthe.
Je n'ai pas d'explication pour les dix années séparant l'allongement de ces deux écluses, pourtant proches.
Encore un truc dont j'ai déjà parlé : la douane de Xures ! En effet, avec la nouvelle frontière dans le bief 14, un poste de douane a vu le jour au port de Xures, en aval de l'écluse 14.
bateau VASCO DE GAMA chargé de 185t de houille (en 1875, avant la mise au gabarit Freycinet)
et LES 5 FRERES, patron Duez, 175t de houille crue, en 1878 (?)
bateau JEUNE HENRIETTE chargé de 172 tonnes de houille crue en 1879
et bateau LE GANGE, 193t de houille crue en 1878
Quelques lignes plus loin, ils ont passé l'écluse n°15 de Mouacourt et c'est l'arrivée à Xures : "Notre ardeur est telle que nous passons la douane française sans nous arrêter et que, trouvant libre l'écluse 14, nous nous y engageons et commençons à nous faire écluser, quand l'un de nous, qui avait débarqué sur une péniche et était allé aux renseignements, revient, tout courant et haletant, dire qu'il faut conduire le bateau à la douane, qu'on ne peut ainsi sortir du territoire français sans montrer ses papiers. Nous faisons rouvrir les portes de l'écluse n°14, et nous voici retournant à Xures, à trois cent mètres en arrière. Nous nous amarrons parmi les péniches nombreuses qui sont devant le bureau de la douane (...). Les douaniers nous déclarent aimablement que ce qu'ils font n'est que pour la forme, c'est-à-dire pour les statistiques(...)
A l'écluse 14, où nous revenons, nous demandons des renseignements à l'éclusier ; celui-ci nous présente aussitôt son confrère allemand qui se trouve là, justement. (...) Cet éclusier, titulaire de l'écluse n°13, la première écluse allemande, (...) nous demande si nous avons notre autorisation de naviguer sur le canal.
- Nous ignorions qu'il en fallût une.
- Si (...) c'est obligatoire. Vous auriez dû la demander à la direction des eaux du canal à Strasbourg, et tant que vous ne l'aurez pas, vous ne pourrez quitter Lagarde.
(...) Nous sommes arrivés à Xures à 5h45, nous en partons à 7h et nous franchissons la frontière à 7h05, heure française ; soit huit heures, heure allemande. (...) Notre dernière carte Vuillaume, pour le Canal de la Marne au Rhin, est terminée...
La carte Vuillaume, la voilà : (si ce n'est pas exactement celle qu'ils avaient sur le bateau, c'est une très semblable)
Continuons la lecture du voyage en canot : "A l'écluse n°13, nous retrouvons notre ami l'éclusier allemand, qui déjà tourne les manivelles ; mais il n'a plus le chapeau de paille qu'il portait tout à l'heure en France. Il s'est coiffé d'une imposante casquette administrative, de ces casquettes allemandes, bien connues, qui ne sont ni des casquettes ni des chapeaux de haute forme ; c'est, si l'on veut, une casquette de haute forme."
Puis ils donnent un pourboire rondelet à l'éclusier et s'arrêtent au port de Lagarde pour la nuit.
Description du bâtiment de la douane, qui semble correspondre à ce que je vous montre sur la carte postale : "celui-ci consiste tout simplement en un vaste hangar fermé, construit avec des planches, et dans lequel deux bureaux sont réservés".
En attendant l'ouverture de la douane, nos voyageurs font la causette avec des mariniers de la péniche amarrée devant : "Elle se nomme Fleur-de-Berry, de Montluçon (Allier). Elle est chargée de résidus provenant des hauts-fourneaux de la vallée de Toul ; elle les transporte à Sarrebourg, où l'on en fera du fer."
Je m'arrête un peu là, car c'est une belle coïncidence : j'ai justement une carte postale sur laquelle on voit un bateau qui présente quelques similitudes avec celui dont il est question dans le livre.
Pour le reste du récit, je vous passe les détails, ça riquerait de devenir lassant... Euh, vous êtes encore là, au moins?
Sachez seulement que ça ne fût pas une partie de plaisir pour avoir l'autorisation (envoi d'un télégramme à Sarreguemines depuis le télégraphe de Moussey, celui de Lagarde étant en panne, pour obtenir une autorisation pour aller jusqu'à Hesse seulement, limite du district de Sarreguemines), mais que le gros éclusier de la 13 et sa bicyclette ont donné un bon coup de main.
J'espère que ces voyageurs ont bien profité de leur escapade sur les voies d'eau du Nord et de l'Est, car des temps mauvais s'annoncent...
(la suite : bordabord.org/news/un-canal-en-guerre-2-sur-4)
Lassant ? Pas du tout... encore, encore et encore !
Un immense BRAVO