La traversée des Vosges par le canal de la Marne au Rhin a été étudiée par Barnabé Brisson (1777-1828), ingénieur des Ponts-et-Chaussées, et son projet de 1826 a établi que le col d'Arzviller (ou Arschviller, comme on disait à l'époque), était le plus favorable à ce passage. Mais les travaux ont présenté des difficultés considérables dans cette descente d'Arzviller, nom donné à la partie de canal comprise entre les écluse n°1 et 18. Et après sa mise en service, en 1853, toute une série de travaux ont été exécutés afin d'améliorer l'échelle d'écluses, jusqu'à l'idée d'un remplacement de cette section par un ouvrage spécifique de franchissement, qui a abouti à la construction du plan incliné de Saint-Louis - Arzviller.
Le canal de la Marne au Rhin de Nancy à Strasbourg,
carte du Guide officiel de la navigation intérieure de 1920.
La construction de ces écluses s'est avérée très délicate, en raison de l'étroitesse du vallon du Teigelbach et de la nature des terrains rencontrés. Il a fallut par exemple bétonner le plafond de plusieurs biefs pour en assurer l'étanchéité, creuser d'un côté dans le grès rose et monter de l'autre un mur en maçonnerie pour séparer le canal du ruisseau. Les travaux, menés par l'inspecteur général des Ponts-et-Chaussées Charles-Etienne Collignon (1802-1885), après avoir été suspendus de 1844 à 1846 face à la concurrence de la construction de la voie ferrée Paris-Strasbourg, seront même arrêtés de 1848 à 1851 à cause de la difficulté de ce passage.
Les eaux ont été introduites pour la première fois dans la descente d'Arzviller le 7 septembre 1853. Les biefs 9 et 13 ont présenté quelques problèmes d'étanchéité, vite réparés. C'est le 22 septembre 1853 que le premier bateau franchît la descente ; parti de Paris dans les premiers jours de septembre, il arriva à Strasbourg le 26. Dans la nuit du 18 au 19 octobre 1853, une digue creva dans le bief 10 (reprise de la navigation le 1er novembre), et le 9 novembre une brèche se déclara dans le bief 9, contre la tête d'amont de l'écluse 9 (reprise de la navigation le 26). Cette partie de canal sera ensuite régulièrement vérifiée.
A l'origine, les écluses avaient pour longueur, entre les naissances de la courbe du mur de chute et l'extrémité amont des enclaves des vantaux aval, 33,85 mètres, distance à laquelle on peut rajouter celle allant de ce dernier point à la pointe des portes aval, soit 1,96m, ce qui donne une longueur de 35m81. Les plus grands bateaux à pouvoir passer par le canal avaient 34,50m de longueur et 5,10 mètres de largeur, celle des écluses étant de 5,20m. Le mouillage de 1,60 mètre permettait à ces bateaux de porter environ 180 tonnes, à 1,40 mètre d'enfoncement. Il y avait aussi des trains de bois : les radeaux étaient limités à 33,50m de longueur sur 4,80m de largeur, leur forme rectangulaire les rendant difficiles à manoeuvrer.
Après la guerre de 1870, la France a entrepris d'uniformiser les caractéristiques de ses voies navigables, par la loi du 5 août 1879, prise à l'initiative du ministre des Travaux publics, M. de Freycinet. Le canal de la Marne au Rhin faisant partie des voies de 1ere catégorie définie par le texte, les caractéristiques de ses ouvrages ont été modifiées ainsi :
- mouillage en section courante : 2,00m
- largeur des écluses de 5,20m (correspondant à l'ancien gabarit)
- longueur utile des écluses de 38,50m (allongement par la partie amont)
- hauteur libre sous les ponts de 3,70m
De Lagarde a Strasbourg, le canal se trouvait annexé par l'Allemagne. Pour ne pas perdre le bénéfice des marchés français, le gouvernement allemand dût se résoudre à uniformiser les canaux d'Alsace et de Lorraine construits par la France avant l'annexion de ces provinces.
Dans la section de l'échelle d'écluses d'Arzviller, le passage du mouillage de 1,60 à 2,00 mètres s'est fait par relèvement du plan d'eau, par surélévation des digues et bajoyers. La plupart des ponts en plein bief du canal de la Marne au Rhin étant en voûte maçonnée, pour obtenir la hauteur libre réglementaire, on s'est contenté de démolir la voûte et de la remplacer par une construction métallique d'épaisseur moindre.
En 1895, on porta le mouillage à 2,20 mètres. Ces nouvelles dimensions permettent aux bateaux de 1,80 mètres d'enfoncement de transporter 250 à 280 tonnes de marchandises.
Voici le récit du passage du souterrain d'Arzviller et de l'échelle d'écluses fait par un plaisancier en canot à vapeur, le mardi 22 août... 1905!
"Le jour commence à poindre, nous traversons le bassin puis la partie de canal à ciel ouvert, et nous entrons dans le souterrain de deux mille trois cent mètres à quatre heures cinquante. Nous en sortons à cinq heures trois: la traversée a été faite en 13 minutes, à petite vitesse.
Tête Est du souterrain d'Arzviller,
en amont de l'écluse 1, vers 1930.
A présent, nous descendons : nous voici dans le bassin du Rhin. Nous avions eu, avant le tunnel, un bief de dix-neuf kilomètres : ils sont maintenant de cent mètres, quelques fois deux cents, la longueur des écluses comprises!
Vue de l'écluse
Il n'y a, effectivement, guère plus que la longueur d'une péniche entre la porte aval d'une écluse et la porte amont de la suivante (bief 3). Cet espace est presque aussi large que long, voici pourquoi : la péniche montante, en sortant de l'écluse, va se ranger sur un côté du bassin qui sépare les deux écluses. On ouvre alors à la péniche descendante qui va tout droit dans l'écluse, restée ouverte, que vient de quitter la péniche montante. Puis on referme les portes sur elle. C'est alors que la péniche montante, quittant son abri provisoire, vient prendre dans l'écluse amont la place laissée libre par la péniche descendante.
Deux péniches ne peuvent manoeuvrer à la fois ; il faut, pour que celle qui s'est garée sur l'un des côtés du bassin de séparation puisse bouger, que l'autre soit entrée dans l'écluse.
A l'écluse n°1, nous avons quelque loisir. Le brouillard roule en gros nuages et semble devoir bientôt se dissiper ; par instant, cet océan de vapeurs s'entrouvre et laisse entrevoir de belles échappées de paysage. Ce sont de hautes futaies sur des collines accidentés, aux contours brusques ; la vallée est très étroite, des ruisseaux coulent le long des pentes et vont grossir le ru (le Teigelbach) qui roule tout au fond d'une gorge au charme exquis ; les eaux de ce ru, qui ont sans doute quelques difficultés avec des roches, mènent grand tapage. Le canal, placidement, du haut de sa situation élevée, assiste à ce conflit perpétuel entre deux éléments. Quand donc cette brume va-t-elle se volatiliser, pour la plus grande joie de nos yeux?
A l'écluse 2, la pause est longue : il faut remplir le bassin de séparation (bief)qui est au-dessous, et il est presque vide. Une péniche nous précède et se trouve dans l'écluse n°3 ; nous offrons un mark au patron pour qu'il nous cède son rang à l'écluse suivante. Il en demande dix! C'est exorbitant. Nous rengainons notre mark.
Les enfants dorment toujours. D'ailleurs, il y a moins de bruit que de coutume : depuis la sortie du tunnel, en effet, le moteur a été arrêté et nous traînons le bateau au cordeau d'une écluse à l'autre. Nous sommes en plein dans les Vosges et la transition a été vraiment extraordinaire. Nous avons pénétré là en pleine obscurité, par le tunnel. Celui-ci franchi, la nature ne nous a pas admis tout de suite à la contemplation de sa beauté, elle l'a dissimulée par un épais rideau : le brouillard, qui, peu à peu, s'est élevé. Quel spectacle féerique! Le paysage s'est agrandi, les monts se sont haussés, tout hérissés d'arbres. Les pins et les sapins les recouvrent d'un manteau sombre que les hêtres, les chênes, les frênes et les bouleaux viennent égayer de leurs teintes plus douces et plus claires. Les collines sont abruptes, leurs découpures sont très nettes et très pittoresques. Toutes dégringolent en un abîme de verdure qui se perd dans le ravin étroit au fond duquel les eaux du ruisseau se mutinent parfois contre les roches de grès rouge.
Les écluses n°7 et 8 sont l'une sur l'autre, comme les écluses n°2, 3 et 4.
Nous sommes au milieu des Vosges lorraines. Le canal est très sinueux : à tout bout d'écluse, il fait un coude brusque, pour s'écarter devant une haute colline à pic, toute boisée de la base au sommet. Le canal est obligé de contourner toutes les collines qui sont à bâbord. A tribord, c'est une descente brusque de terrain, se terminant par un large ruisseau (le Teigelbach), affluent de la Zorn, à l'eau limpide et glacée ; ensuite, le sol remonte un peu pour soutenir le chemin de fer d'abord, puis une route, et c'est enfin la colline à pic, toujours très touffue, comme sur la rive opposée.
Les maisons des éclusiers, lorsque le terrain le permet, se distinguent de fort loin, dans la nappe sombre des futaies, par leurs toits d'un rouge ardent ou par la blancheur de leurs murs, mais le canal pénètre au coeur de la vallée encore plus tortueuse et les horizons se raccourcissent singulièrement.
Toujours devant nous, et nous retardant fort, la péniche aux dix marks, le Général Rapp, continue sa marche monotone. Comme je l'ai dit, nous nous hâlons à la corde depuis l'écluse n°1 : il serait fastidieux d'employer le moteur pour des biefs aussi courts. Qu'on en juge : de l'écluse n°1 à l'écluse n°18, il y a exactement quatre kilomètres. Il nous faut de plus, à chaque écluse, attendre la sortie de la péniche montante.
Amont de l'écluse
à droite, carte postale vers 1920.
A deux heures, nous ne sommes encore qu'à l'écluse n°17 ; nous n'avons parcouru que huit kilomètres quatre cent mètres en dix heures de marche! Nous avons hâte d'être à l'écluse n°18...
Voici enfin l'écluse n°18. Dans l'écluse même, nous remettons le moteur en marche : nous allons avoir des biefs de six cents à douze cents mètres, voire de trois kilomètres! Nous quittons cette écluse à deux heures et demie, et quelques minutes après, nous avons la satisfaction de dépasser le Général Rapp, qui nous a tant gênés toute la matinée..." (En canot automobile de Paris à Paris, par la Marne, le canal de la Marne au Rhin, le Rhin, la Meuse, la Sambre, l'Oise et la Seine - écrit par P.V. Stock - éditions P.V. Stock, 1906)
Aménagements envisagés après la Première Guerre Mondiale
La descente d'Arzviller, après la Première Guerre mondiale, inquiète l'Administration française : les croisements y sont difficiles, les biefs y sont d'importances inégales, aggravant encore les difficultés du parcours. La distance moyenne de 180 mètres qui séparent les écluses est réduite à 45,10 mètres entre les écluses 2 et 3, obligeant les bateliers à accomplir des prodiges d'adresse manoeuvrière. La sinuosité de la voie d'eau s'ajoutent encore à ces inconvénients : les courbes ont 200 mètres de rayon maxi, et 60 mètres au minimum. L'échelle d'écluses d'Arzviller constitue un goulet d'étranglement que les bateliers n'abordent pas sans appréhension, ni inquiétude.
Des études ont été menées, qui aboutissent à un avant-projet daté du 30 mars 1921 ; celui-ci vise à l'amélioration générale de la branche orientale du canal de la Marne au Rhin, de Gondrexange à Strasbourg. D'importants aménagements étaient prévus entre le souterrain d'Arzviller et le confluent du ruisseau du Teigelbach avec la Zorn.
La possibilité de doubler les écluses sur place, dans cette vallée où se rencontrent et se chevauchent le canal, la voie de chemin de fer Paris-Strasbourg, une route et un ruisseau, avait paru impossible. Aussi avait-on pensé à une déviation du canal qui, avant le souterrain de Niderviller, se dirigerait vers le Nord pour traverser les Vosges et rejoignait la plaine d'Alsace en descendant par la vallée de la Zintsel. Mais ce tracé nécessitait l'ouverture de tranchées pour le passage du col, d'une hauteur telle que leur réalisation a été considérée comme pratiquement irréalisable. Pour éviter ces déblais, il aurait fallu créer des écluses, rendant le passage moins favorable à la navigation. De plus, le nouveau canal aurait dû franchir la voie ferrée Paris-Strasbourg et une zone marécageuse à l'aide de deux ponts-canaux de plus de 600m de longueur. Il n'est ainsi pas paru raisonnable de poursuivre l'étude de cette déviation.
Une deuxième solution consistait à établir une déviation vers le Nord ayant la même origine que la première, mais plus courte, rejoignant le canal à Lutzelbourg ; la descente des Vosges s'effectuait par une échelle d'écluse dans le ravin de Henridorff. Mais la construction d'un pont-canal pour traverser la voie ferrée et le percement d'un souterrain de 3700 mètres de longueur entraînaient des dépenses considérables sans qu'il en résulte une amélioration suffisante, ce qui conduisît également à l'abandon de cette solution.
On en est venu à étudier l'amélioration de la descente des Vosges sur place, soit en aménageant le canal existant, soit par un tracé nouveau dans la vallée même du Teigelbach :
- aménagement du canal entre le débouché du souterrain d'Arzviller et l'écluse n°1 : élargissement et approfondissement de la cuvette, pour faciliter la navigation et permettre le garage de deux rames de 15 bateaux
- abandon du canal existant de l'écluse n°1 à l'aval de l'écluse n°4 (10,85m de chute) et remplacement par un canal pourvu de deux couples d'écluses jumelles de 5,42m et 5,43m de chute
- doublement du canal entre l'écluse n°5 et l'écluse n°12 (chute de 18,15m) par une nouvelle voie avec des trois écluses simples de 6,05m de chute, en prévoyant le doublement de ces écluses lorsque l'abandon de l'ancien tracé serait rendu nécessaire par l'augmentation du trafic
- doublement du canal entre l'écluse n°12 et l'aval de l'écluse n°18 par une voie comprenant trois écluses simples de 18,05m de chute totale ; le canal existant présentait des conditions de navigabilité suffisamment bonne pour que sa conservation définitive ait pu être envisagée.
De nouvelles études ont envisagé de remplacer trois biefs relativement courts du tracé décrit ci-dessus, entre l'écluse n°1 et l'écluse n°12, par un plan incliné longitudinal, comportant deux bacs indépendants équilibrés chacun par trois contrepoids, rachetant une dénivelée de 17,05m sur une longueur horizontale de 216m, avec une pente voisine de 8%.
Finalement, aucune de ces modifications ne sera réalisée.
La descente d'Arzviller et l'amélioration des conditions de navigation sur le versant Rhin du canal de la Marne au Rhin
Après la deuxième Guerre mondiale, dans les années 1950-1960, le canal de la Marne au Rhin, en particulier son versant Rhin qui nous intéresse ici, a bénéficié de nombreux travaux :
- remise en état : renforcement des digues, réparations des bajoyers et murs de quai, des aqueducs
- amélioration des conditions de navigation : mécanisation des écluses (14 écluses mécanisées en 1956 selon le système Fritz, 17 autres avant 1970, système Bendel) ; essai d'automatisation sur l'écluse n°41, système Saxby, élargissement des passes navigables sous les ponts, construction d'estacades de guidage aux écluses, approfondissement du souterrain d'Arzviller (mise au mouillage de 4,00m terminée en juin 1966)
- mise au mouillage de 2,60m, permettant un enfoncement de 2,20m des bateaux, autorisé à compter du 23 octobre 1968 à titre d'essai sur le versant Rhin.
Attardons-nous un peu sur cette photo aérienne :
En aval de l'écluse n°3, le canal fait un coude très prononcé sur la droite pour rejoindre l'écluse n°4. Sur la gauche, le petit embranchement est appelé "port Sainte-Marie".
Une autre vue sur ce bief, cette fois un montant s'engage dans l'écluse n°3, vu de l'aval ; il ne croisera pas d'avalant dans le petit bief, l'écluse 2 est déjà prête à l'accueillir :
Voici la liste des écluses de la descente d'Arzviller donnée par le Guide Officiel de la Navigation intérieure de 1957, et la carte la représentant :
L'avant-projet prévoyait le remplacement des 14 premières écluses par un plan incliné longitudinal et les trois suivantes par une écluse unique de 7,80 mètres de chute.
Le plan incliné rachetait une chute de 36,75m sur une distance de 1775 mètres, avec une pente de 2,12% et deux chariots-bacs. Son tracé comportait des courbes, ce qui empêchait en pratique l'équilibrage des bacs par des contrepoids ; il fallait donc avoir recours à des chariots-bacs automoteurs. La tête amont de l'ouvrage se situait à l'aval de l'écluse n°1, à l'écart du tracé existant, et il suivait le cours du Teigelbach, qui aurait été busé. La tête aval se situtait au droit de l'écluse 11 et le bief aval, implanté également dans la vallée du Teigelbach, rejoignait le canal existant à l'aval de l'écluse 13. Le bief 13 devait être approfondi pour amener la cote du plan d'eau à celle du bief 14, l'écluse 14 étant supprimée, ce nouveau bief étant le bief amont de l'écluse de 7,80 mètres de chute.
La tête amont du plan incliné longitudinal projeté
(Revue de la Navigation intérieure et rhénane du 25 octobre 1960).
Ce projet présentait l'inconvénient de nécessiter une longue interruption de la navigation pour le raccordement ; il gardait aussi un passage rétréci au passage de la voie ferrée. Il fût alors décidé d'avoir recours à la procédure du concours, afin de trouver une solution plus satisfaisante.
39 offres différentes ont été remises au 16 mars 1963, nombre ramené à 25 suite à une première analyse technique.
Parmi les diverses solutions, on trouve :
- l'ascenseur à bateaux
- la pente d'eau
- les plans inclinés longitudinaux
- les plans inclinés transversaux
Le jury, présidé par l'ingénieur en chef du service navigation de Strasbourg, après 25 réunions de la commission, fît connaître son choix de la solution retenue le 9 novembre 1963. Parmis les critères retenus, on trouve :
- le coût (les solutions les plus économiques étant celles qui remplacent 17 écluses)
- la durée du cycle : la durée de passage d'un bateau sur l'ouvrage ne doit pas dépasser le temps de passage de l'écluse la plus lente du canal ; le débit estimé de cette voie d'eau étant de 26 bateaux dans chaque sens par journée de 13 heures (1 bateaux/sens/30min)
- la sécurité d'exploitation : la sécurité optimum est obtenue avec deux bacs ; un seul suffit en première étape si l'échelle d'écluse peut rester en fonctionnement
- les conditions d'exécution : liées au tracé, elles devaient permettre de laisser en service le canal existant pendant la construction et limiter le chômage nécessaire au raccordement au minimum.
Deux projets de plan incliné transversal aboutirent au projet définitif : le premier remplaçait seulement 14 écluses et entraînait la suppression du canal existant, mais présentait l'originalité de faire rouler les deux bacs et les deux contrepoids sur les mêmes voies, réduisant les dépenses de génie civil ; le second supprimait 17 écluses, mais nécessitait la construction d'une piste pour chaque bac. Les deux groupements ont été invités à se rapprocher, et c'est ainsi que l'Administration supérieure a entériné le choix du jury.
Les travaux du plan incliné
Le projet retenu se compose d'un canal d'accès amont, qui a son origine légèrement en amont de l'écluse n°1 ; il est accroché au versant Sud de la vallée du Teigelbach sur une longueur totale de 3308,29m. Il aboutit sur une croupe rocheuse qui forme l'intersection des vallées du Teigelbach et de la Zorn et sur laquelle est implantée l'ouvrage. Le mouillage y est de 2,60 mètres, pour une section mouillée de 42m2. Côté Sud, il est longé d'une banquette de halage de 3,20m de largeur, 3,00m pour la banquette de contre-halage Nord.
Le plan incliné transversal assure le franchissement d'une dénivelée de 44,55m, remplaçant 17 écluses. La pente des voies de roulement est de 41%, sur un parcours, ramené à l'horizontale, de 108,65m. Le projet comporte deux bacs, chacun relié à son contrepoids par l'intermédiaire d'un treuil assurant la traction.
Vue en plan du plan incliné, sur laquelle figurent
les courbes de niveau du terrain naturel (pour agrandir, cliquez ici).
Coupe longitudinale du plan incliné (pour agrandir, cliquez ici).
Au pied du plan incliné se trouve un bassin d'accumulation, destiné à effectuer le réglage du plan d'eau du bief aval, en compensant les fuites de bief et des portes de l'écluse 18 et aussi la consommation de cette écluse pour les bassinées.
Les travaux du canal amont ont présenté des difficultés dues à la géologie : le grès (grès du Trias inférieur, qui constitue la couverture des Vosges du Nord sur 400m d'épaisseur) était beaucoup plus fracturé que prévu et on y trouvait de nombreuses nappes d'eau. Il a donc fallu étancher la cuvette du canal et constituer un système de drainage.
Formations géologiques : à gauche, grès fissuré instable ; à droite : poudingue gréseux type Sainte-Odile.
Terrassement du canal amont : mur de soutènement (à gauche).
Il faut noter la collaboration poussée avec les ingénieurs belges ayant construit le plan incliné de Ronquières, et les ingénieurs allemands ayant construit l'ascenseur à bateaux de Henrichenburg, qui avaient été confrontés à des problèmes présentant certaines similitudes avec ceux que l'Administration française avait à résoudre.
Au plus fort du chantier, voici la liste des matériels de terrassement présents :
- 3 wagons Drill équipés de compresseurs de 340cv
- 1 bulldozer Euclid TC 12
- 2 bulldozers Euclid C 6
- 1 bulldozer Caterpillar D6
- 3 bulldozers Caterpillar D8H
- 3 bulldozers Allis Chalmers HD 21
- 1 bulldozer Caterpillar D9
- 2 chargeuses sur pneus Caterpillar type 988
- 1 chargeuse sur pneus Caterpillar type 950
- 1 chargeuse sur pneus type Kaelble SL 18 B
- 1 chargeuse sur chenilles Caterpillar 955 K
- 1 chargeuse sur chenilles Allis Chalmers HD 12 G
- 1 pelle mécanique Linkbelt en butte de 1m3 - LS 108 B
- 1 pelle mécanique Pinguély en butte de 1m3
- 2 pelles mécaniques Nordest P85 de 1,35m3
- 3 dumpers Kockum KL 420 de 12m3
- 5 dumpers Aveling Bedford SL 300 de 10m3
- 4 compacteurs vibrants Bomag BW 200
- 1 compacteur ABG (SAW) de 13,5t
- 1 isopactor de 25 tonnes
- 18 pompes Grindex type Major H
- 2 camions Kaelble de 12m3
- 6 camions Somua de 12m3
- 4 camions Berliet de 5m3
- 3 compresseurs Spiros CK 6 - 120cv
- 2 compresseurs Ingersoll Rnd DL 900 - 340cv
De plus, pour les bétonnages furent utilisées 4 centrales à béton Richier S 860 E de 10m3/h, 3 camions Berliet avec malaxeurs Richier de 4m3, 2 grues tour Weitz G 140, une grue sur pneus type Lorain MC 540 A, une pompe à béton Torkret PT 15/63 . Les agrégats, graviers et sable provenaient des ballastières du Rhin, acheminés par camions ou par péniches.
Les enrobés destinés à étancher le bief amont étaient fabriqués à partir de deux centrales Linnhoff discontinues, l'une de 90t/h, l'autre de 50t/h. La mise en oeuvre sur les berges était faite à l'aide d'une répandeuse type S.G.M.E. et d'un finisseur classique pour le radier. Le compactage se faisait avec deux rouleaux lisses Télépactor Albaret pour les berges, un rouleau à pneus et un lisse pour le radier.
Canal d'amenée amont, qui surplombe la route départementale 98 et la voie ferrée;
sur l'autre versant de la vallée, on voit les maisons de l'ancienne échelle d'écluses.
Grès compact légèrement fissuré supportant le plan incliné.
Terrassements du plan incliné.
Palplanches dans le canal aval.
Fosse des bacs (aval du plan incliné) : une pelle mécanique Poclain termine le parement vertical
du terrassement et charge une benne remontée par une grue Nordest P 85 au niveau du terrain naturel.
Terrassements du plan incliné : à droite, centrale à béton ;
réglage du fond de fouille à la pelle mécanique et au bulldozer ;
ferraillage du fond de la salle des machines.
Bétonnage de la fosse des bacs.
Pont du CD98 enjambant le canal amont en construction.
Chariot bac en cours de montage en juin 1967 (à gauche) et complet (à droite).
De la mise en service de l'ouvrage à aujourd'hui
Les raccordements des canaux d'accès amont et aval au canal de la Marne au Rhin ont été exécutés lors du chômage du mois de juillet 1967 ; toutefois, pour terminer les aménagements des canaux à sec, des digues provisoires en argile ont été mises en place.
La mise en eau du canal amont commence le 20 avril 1968, à 10h, par l'ouverture des vannes du bateau porte le séparant du bief de partage, placé sous le pont du CD98. Il reste à la cote 0,50m jusqu'au 24 avril, où il est rempli à 1,25m, puis 1,75m le 27 avril et 2,25m le 2 mai. Il atteint 2,75m, le 8 mai 1968.
A l'arrière plan, à gauche : tête Est de la voûte d'Arzviller.
Au milieu : pont du CD98, au-dessus du bateau-porte.
Devant : la vanne segment de sécurité.
Les réparations furent terminées fin juillet 1968, le bief fut progressivement remis en eau jusqu'à atteindre la cote du bief de partage, soit une retenue d'eau de 3,30m dans le canal amont.
Le canal aval fut mis en eau le 15 mai 1968, à l'aide de deux grosses pompes Guinard de 300m3/h qui pompaient l'eau du canal existant au-dessus du batardeau d'argile pour remplir le canal d'accès. Une fois obtenue l'égalité de niveau, le batardeau a été enlevé à la dragline.
Jonction du canal d'accès aval et du bief 18 ; on peut voir les écluses 17, 16 et 15 de l'ancienne vallée,
les cristalleries d'Arzviller, le plan incliné (à gauche) et le canal d'accès amont en grands remblais (pour agrandir, cliquez ici).
(La documentation par l'image, avril 1969)
Le point culminant des essais précédant l'ouverture de l'ouvrage fût, le 7 novembre 1968, le premier fonctionnement du plan incliné avec des bateaux : le tout premier, la barge Solvay B7, a été détournée de son trafic habituel Dombasle - Sarralbe, chargée de calcaire, puis le CONCARNEAU de l'HPLM a repris la bassinée, chargée de produits pétroliers à destination de Thionville :
Les deux premiers bateaux à avoir franchi le plan incliné (photos de la Revue de la Navigation intérieure
et rhénane du 25 novembre 1968).
Vue aérienne sur le plan incliné ; en bas, à gauche,
bassin de rétention pour le maintien du niveau du bief aval.
Et c'est finalement le 27 janvier 1969 que l'élévateur fut mis en service. L'avis à la batellerie publié alors laissait le choix du parcours aux mariniers, soit par l'ancienne échelle d'écluses, soit par le plan incliné. Ce dernier écoula rapidement la totalité du trafic.
Bateau dans le canal d'accès amont, se dirigeant vers le plan incliné :
le canal domine la route départementale 98, sur laquelle roule une voiture, la voie ferrée Paris-Strasbourg où passe un train,
et on aperçoit les maisons des écluses de l'ancienne vallée.
En effet, le temps généralement admis pour le franchissement de l'ancienne échelle d'écluses était de 8 heures 30 dans des conditions optimales, contre moins de vingt minutes pour le plan incliné, toutes manoeuvres comprises.
En gardant l'ancienne vallée en état de fonctionnement, le Service de la Navigation de Strasbourg évitait, en cas de dysfonctionnement de l'ouvrage, de se mettre dans la position de celui de Nancy, qui après s'être aperçu, lors de sa mise en service cinq ans avant le plan incliné, que la grande écluse de Réchicourt-le-Château était trop courte pour accueillir les bateaux, a dû rouvrir en urgence l'ancienne vallée de 6 écluses rendue impraticable...
Le passage par le plan incliné a dû être arrêté à plusieurs reprises pour remédier à quelques défauts ou anomalies d'enfance : le 5 mars 1969, vers 14h, le bac, remontant à vide, a percuté ses butées sans avoir décéléré, à une vitesse de 0,60m/s ; aucun dégât n'a toutefois été constaté. Le 15 avril 1969, vers 13h30, suite à une panne de courant, le cadre d'étanchéité entre le bac et le bief aval s'est progressivement desserré après 2min sans alimentation, alors qu'un avalant sortait. La fosse aval s'est remplie d'eau, et a été difficilement vidée grâce aux trois pompes de 38m3/h dont elle est équipée, alimentées par un groupe diesel de secours. Après cet incident, la pompe hydraulique du cadre d'étanchéité a également été branchée sur le diesel de secours.
On peut aussi parler de quelques problèmes dûs au gel sur les contacteurs fin de course, nécessitant qu'en hiver, deux agents commencent une heure avant le début de la navigation pour réchauffer le cadre d'étanchéité, les portes et faire quelques manoeuvres d'essai.
Les treuils entraînant le bac et ses contrepoids,
mus par deux moteurs électriques d'environ 120cv (photo Y.G.).
Lors de sa première année de fonctionnement (1969), 5787 passages de bateaux ont été enregistrés. Courant avril 1970, ce nombre dépasse les 7000. Le nombre maximum de passages de bateaux de commerce, en 13 heures de navigation, a été (en 1969) de 41 (avalants + montants).
en attente : SOLVAY 109 montant (se dirigeant vers Nancy).
Les premiers signes de fatigue du plan incliné ont commencé à se faire sentir au début des années 90, 20 ans après sa mise en service. Une mission de diagnostic s'est déroulée de novembre 1994 à mars 1995, aboutissant à un programme de travaux que je vous invite à consulter dans ce dossier en PDF (cliquez ICI). Etalés sur plusieurs années, et actuellement en voie d'achèvement, ce rajeunissement en profondeur permettra d'assurer l'avenir de l'ouvrage.
Et les rêveurs peuvent toujours espérer revoir un peu plus de bateaux de commerce...
Mes sources pour ces articles :
- les infos concernant la construction du canal sont issues de "Construction des canaux et des chemins de fer - Histoire critique des travaux exécutés dans les Vosges au chemin de fer de Paris à Strasbourg et au canal de la Marne au Rhin", par M. GRAEFF, ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, Librairie scientifique, industrielle et technique, 1861
- le récit de navigation dans la vallée des dix-sept écluses et les photos de 1905 proviennent de "En canot automobile de Paris à Paris, par la Marne, le canal de la Marne au Rhin, le Rhin, la Meuse, la Sambre, l'Oise et la Seine", par P.V. Stock, édition P.V. Stock, 1906
- les textes sur les différents projets et travaux de modernisation de cette partie du canal, ainsi que les photos des travaux, sont tirés de "Sur le canal de la Marne au Rhin, le plan incliné transversal d'Arzviller-Saint-Louis remplace 17 écluses", extrait de la revue NAVIGATION, PORTS ET INDUSTRIES du 25 juin 1970, éditions de la navigation du Rhin (articles de René Descombes, ingénieur divisionnaire des TPE, J. Charrault, chef d'exploitation commerciale de la direction de Strasbourg de l'Office National de la Navigation, Raymond Thelu, ingénieur IDN, société Dubigeon, R. Gruner, ingénieur des TPE, Jean Blondel, ingénieur des TPE, Etienne Schwarczer, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, Louis Simler, directeur du service géologique d'Alsace et de Lorraine, F. Scotto, directeur des travaux de la Compagnie Française d'Entreprises, J.M. Gernez, ingénieur des TPE, J.L. Baglione, ingénieur ENSAIS, André Rit, ingénieur géologue, entreprise Bachy, M. Cazé, ingénieur à la Compagnie Française d'Entreprises Métalliques, G. Brunotte, ingénieur ESE, société Trindel, Claude Lecomte, Entreprise d'Equipements Mécaniques et Hydrauliques, Samuel Tuson, Entreprise d'Equipements Mécaniques et Hydrauliques, M. Couprie, Compagnie Française d'Entreprises, J.M. Noël et M. Bacillon, service technique des Phares et Balises et Bernard Perry, ingénieur des TPE)
- photos et cartes postales de la collection de l'auteur, sauf mention contraire figurant en légende (merci!)
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Qu'est devenue aujourd'hui la vallée des 17 écluses remplacées par le plan incliné?
Elle n'a pas été entretenue régulièrement depuis sa fermeture à la navigation. Après la tempête de 1999, du bois a été immergé dans quelques biefs, nécessitant le renforcement de l'étanchéité de la cuvette.
Depuis quelques années, un aménagement touristique a été mené par la Communauté de Communes de Phalsbourg. L'un de ses plus ambitieux objectifs est la remise en eau pour la navigation de plaisance du canal, de l'écluse 1 au port Sainte-Marie, en amont de l'écluse 4.
Petite promenade en photos le long de l'ancien canal :
- écluse n°1 :
Adresse : D98c, 57820 Garrebourg, France
J'ai bien lu cet article et les 5 suivants...On reste pantois devant tant de connaissances et devant les documents et photos!
Kikicmr avit un devancier en 1974 qui a fait un reportage "papier" modeste mais instructif,
sur le BT n°784
j'en extrait les premières pages, avec une vue plongeante sur l'ouvrage, et aussi une petite carte de situation.
Le 38m en photo c'est le SCARABEE
Guy BaB IdF