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L'hiver 1929 a été froid (2e partie)

cassage des glaces dans la vallée de Cayenne

Par kikicmr • BaB NordEst.fr • Dimanche 17/03/2019 • 0 commentaires  • Lu 2139 fois • Version imprimable

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Note : 5/5 (1 note)

     Nous avons vu dans un premier article (bab.viabloga.com/news/l-hiver-1929-a-ete-froid-1re-partie) que l'hiver 1929 avait été très rude, la navigation fluviale ayant été interrompue à compter du 4 janvier sur les voies navigables du nord-est de la France. Même quand les températures radoucissent, les glaces restent une entrave à la navigation, qu'il faut casser pour livrer passage aux bateaux. C'est ce travail que nous présente le journaliste Raoul Décellas dans cet article publié le mercredi 13 mars 1929 dans le journal L'Est Républicain (kiosque-lorrain.fr), mené par la Compagnie Générale de Navigation - HPLM pour rouvrir la vallée de Cayenne, petit canal de jonction entre les canaux de la Marne au Rhin et de l'Est - branche sud, au sud-est de Nancy :



  
 entouré en vert : la vallée de Cayenne, ou embranchement de Nancy du canal de l'Est, branche sud
La France fluviale et maritime. Carte offerte par Henry Valcke-François...
Éditeur : Société éditrice géographique (Paris) - Date d'édition : 1925 - consultable sur Gallica




 
 
SUR NOS CANAUX FIGÉS PAR LES GLACES... 
Le travail de la Cie Générale de Navigation pour le rétablissement du trafic fluvial 
 
 
COMMENT LE BRISE-GLACES " KRASSINE " OUVRE LA VOIE AUX CHALANDS



  
 
  En haut : brise-glace " KRASSINE " frayant un passage aux péniches. 
En bas : Péniches remorquées par trois tracteurs. Photo BOUDRIE 
 
 
  
Laneuveville-devant-Nancy, 12 mars 1929.

 
      L'hiver s'en va, comme à regret. Par la porte qu'il a soin de laisser entr'ouverte, il revient, à certaines heures, épier d'un œil jaloux l'entrée prochaine du printemps.
 
  
     L'hiver s'en va, son œuvre achevée. Et le soleil commence la sienne, dissipant de sa lumière neuve nos dernières inquiétudes.
 
     Puissant magicien, sans lequel « les choses ne seraient que ce qu’elles sont », il verse en nous et autour de nous, tel un sang renouvelé, une chaude et bienheureuse allégresse. Conquérant qui livre une bataille décisive, il s'organise sur les positions conquises et s'installe dans la place afin de reconstruire ce que le vaincu a détruit. 
 
Sa tâche est immense !  
 
     On sait quel tort considérable ont fait à la navigation fluviale les froids très rudes de l'année 1929. Nous avons signalé, ici-même, la situation critique créée par eux dans ce domaine essentiel de l'activité économique. Depuis le 4 janvier, sur nos canaux gelés, le trafic maritime souffre d'une paralysie générale. 
 
     Toute une région a été bridée dans son essor. Les bouilles de la Sarre, les charbons belges, ceux de la Ruhr et des mines du Nord, la farine, le blé et autres marchandises apportées par bateau ont fait défaut. Les pertes, si elles ne sont pas irréparables n'en sent pas moins très lourdes. 
 
     On en mesure aujourd'hui toute l'importance. Il convenait donc d'agir au moment propice et de chercher à revenir vers une situation normale. 
 
     C'est ce qu'a fait la Compagnie générale de Navigation Le Havre - Paris - Lyon - Marseille, dont le siège, à Nancy, est au quai Saint-Georges. 
 
     Dès l'apparition du dégel, en effet, elle a entrepris de rendre à nos voies fluviales la liberté dont elles sont privées depuis bientôt trois mois. Au prix de mille difficultés, elle a commencé à briser la glace qui immobilise le canal de l'Est (embranchement de Nancy), entre Fléville et Laneuveville. Travail long, pénible, l'épaisseur moyenne de la glace étant de 0 m. 45. 
 
     Travail périlleux aussi. De l'écluse 1 à l'écluse 13, soit sur une distance de six kilomètres, il a fallu plus de trois jours pour rétablir la circulation qui demande encore une extrême prudence. Mais grâce au matériel dont elle dispose, grâce aussi à la compétence et au dévouement de son personnel, la Compagnie H. P. L. M. mènera rapidement à bonne fin la lourde tâche qu'elle s'est assignée. 
 
LE MATÉRIEL 
 
A tout seigneur, tout honneur. 
 
     C'est d'abord le brise-glace, élément essentiel des opérations, qui appartient aux Ponts-et-Chaussées. Grande barque massive et trapue, de sept mètres de long, tout en fer, il pèse sept tonnes. A l'arrière sont entassées cinq tonnes de moellons, destinées à faire émerger l'avant. 
 
     Puis les tracteurs-auto-chenilles, d'une puissance de 9 chevaux qui, reliés par des câbles au brise-glace tirent ce dernier, sur le chemin de halage.

Enfin les chevaux et les mulets, dont la puissance se combine avec celle des moteurs.
 
 
     Soulignons en passant que la Compagnie H. P. L. M. effectue les travaux avec son seul matériel, sans le concours d'un outillage étranger. Elle a fait appel également à son propre personnel que dirige avec une autorité souriante M. Couettant, directeur des services de la Traction à la dite Compagnie.
  
     Au début des opérations, vingt-quatre chevaux et trois tracteurs ont dû être mis en service, tant était dure la besogne à accomplir. Bien des fois le brise-glace a patiné sur la glace sans parvenir à la désagréger. Il lui fallait alors retourner à son point de départ et tenter à nouveau la manœuvre. On devine aisément quelle persévérance dans l'effort doit mettre le personnel chargé de réaliser semblable entreprise ! 
 
     Nous sommes allés sur le canal. Et nous avons vu avec quel courage, quel entrain, quelle gaîté, chefs et ouvriers poursuivent cette réalisation. 
 
LE « KRASSINE » OUVRE LA VOIE 
 
     Soleil de mars. Caressant et discret comme une promesse. Il joue sur le canal aux ondes figées. Çà et là, de petits icebergs piquent de leur scintillement la pâleur bleutée du décor. 
 
     Le brise-glace dresse son étrave sombre. Il donne de la bande et ressemble à une épave. Par un sens très louable de l'actualité, les mariniers l'ont baptisé « KRASSINE ». Il ne va à la recherche d'aucune expédition. Mais sa vie est une suite de combats dont il se repose pendant de longues trêves. Il est là, prêt à l'attaque. 
 
« A d'autres les régates, semble-t-il dire, à moi les coups durs ! »  
 
     Cinq hommes à bord, muscles saillant sous le chandail de laine. L'équipage ! Autour du « KRASSINE », deux mariniers vont et viennent, nonchalants, sur le miroir glacé, émules de Nanouck. 
 
     Quoi ! pas de chiens, pas de traîneaux ? Quel dommage ! Cela manque au tableau. Un cri, puis un autre, qui se prolonge. Les moteurs font frémir les tracteurs. Les câbles se tendent, prêts à se rompre. 
 
Partez ! 
 
     Les tracteurs roulent sur le chemin de halage. Soulevé par une force Irrésistible, le « KRASSINE » se cabre et bondit, pareil à un énorme cétacé. Comme si cet effort l'avait épuisé, il s'affaisse sur la glace et reprend haleine, incliné sur bâbord. Un commandement le tire de sa torpeur. Les tracteurs vibrent à nouveau. Les amarres gémissent. Et le « KRASSINE » s'enlève avec fougue cette fois. Il va, ouvrant la voie libératrice dans la barrière de glace. Il poursuit son élan, avec une sorte de confiance têtue. Le long de sa coque métallique, les blocs irisés s'entrechoquent. 
 
Chaos. Débâcle. 
 
     L'équipage sent la joie lui monter au cœur. Son labeur reçoit là une récompense immédiate. Et dans le sillage frissonnant et glacé du « KRASSINE », s'avancent les chalands. Les uns sont hauts de bord, comme des cargos sur lest. Les autres glissent, accroupis.
  
     Voici le « SAVERNE », le « BAMBOU », l' « ELAN », le « SALONIQUE », le « BOMBARDIER », le « BORDA », le « GRENADIER », l' « ENSEIGNE ». La plupart sont vides. L' « ELAN » est chargé de bois à destination de Maxéville. Ces unités appartiennent à la Compagnie Générale de Navigation H. P. L. M. et à la Compagnie Lyonnaise. 
 
Le patron est sur le pont. 
 
On entend la plainte des longues gaffes chargées d'éloigner le convoi de la rive où il risque de se blesser sur les glaces amoncelées. 
 
     La vie du bord, dans ses moindres détails, peu à peu reprend son rythme, pareille aux battements d'un cœur qui aurait triomphé d'une syncope. Le patron est à son poste. L'homme de barre fait bouillonner l'eau sous le gouvernail. La marinière, poings aux hanches, surveille un odorant pot-au-feu. Un roquet, assis sur la dunette, flaire avec ivresse le vent de la Liberté. 
 
Et le convoi, entraîné par le « KRASSINE », vogue, majestueux, vers les horizons convoités... 
 
     Félicitons la Compagnie Générale de Navigation du travail gigantesque auquel elle se livre depuis plusieurs jours. Elle le continuera, si le temps le permet, sur le canal de l'Est (branche sud), jusqu'au point de jonction de ce dernier avec la Saône, c'est-à-dire sur un parcours de 129 kilomètres... 
 
...Et ce sera alors la fin d'un mauvais rêve dont le grand soleil brûlera sous peu le souvenir. 

 
Raoul DÉCELLAS

 



   KRASSINE
, d'où vient ce nom ? De Leonid Krassine, né le 3 juillet 1870 à Tobolsk et mort le 24 novembre 1926 à Londres, un dirigeant bolchevik russe, premier ambassadeur soviétique en France, puis embassadeur à Londres. Mais plus encore du KRASSINE, brise-glace russe construit en Angleterre en 1917, d'abord nommé SVIATOGOR, puis KRASSINE après la mort de Leonid. D'après Wikipedia, "ce bâtiment a eu une longue et brillante carrière, tant dans des opérations de sauvetage que dans des missions d'exploration de reconnaissance de la route maritime du Nord. À la fin des années 1980, le KRASSINE a été entièrement restauré. Il est maintenu en état de fonctionnement et est maintenant un bateau-musée dépendant du Musée océanographique de Kaliningrad, mais mouillé à Saint-Pétersbourg.". Concernant notre brise-glace de la vallée de Cayenne, il semblerait qu'il s'agisse plus d'un surnom donné à cette barque en référence à ce prestigieux homologue du Grand Nord que d'une devise officiellement reconnue.


Dans une troisième partie, nous verrons que L'Est Républicain a, quelques années plus tard, consacré un nouvel article à un brise-glace de Laneuveville-devant-Nancy... (ici : bab.viabloga.com/news/l-hiver-1929-a-ete-froid-3e-partie)



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